La finance islamique, interview

Rencontre aujourd’hui avec le directeur de l’Executive Master « Finance islamique » de l’université Paris Dauphine, afin de comprendre l’essor de ce nouveau type de finance. Kader Merbouh s’est distingué en organisant des programmes de formation professionnelle de très haut niveau, ainsi que dans les domaines scientifique et académique par la participation et l’organisation de plus d’une centaine de conférences d’envergure et à rayonnement international.
Interview menée par Olivier Mogé. Très bonne lecture !
Qu’est ce que la finance islamique ?
La finance islamique est une finance qui se conforme aux principes et aux droits musulmans : justice, équité, transparence. C’est une finance responsable qui interdit les intérêts et la spéculation, et qui investit dans des secteurs vertueux ; elle exclut notamment les secteurs qui vont à l’encontre des principes de l’islam, tels que l’armement ou le tabac par exemple. C’est une finance simple, elle se veut un outil de l’économie. Ainsi toute sophistication de produits est plutôt compliquée à mettre en œuvre.
Quelles sont les caractéristiques de la finance islamique ?
Les certificats d’investissement que sont les sukuks caractérisent majoritairement cette finance. Ils se définissent comme des titres de propriété contre une rémunération. Par exemple, si on détient un titre de copropriété, on a une part de rendement et une part de propriété (actif réel et tangible). La notion de partage intervient quand un investisseur a besoin d’argent pour financer une infrastructure : il injecte des actifs pour obtenir des rendements qui lui seront reversés sous forme de parts de propriété. Ce rendement, on le redistribue pour rembourser les nominaux de chacun sur 5-10 ans.
La finance islamique serait-elle une finance éthique ?
Absolument, elle partage les mêmes valeurs. L’essor de la finance islamique tel que je le vois a une façon à elle de paraître, l’objectif marketing n’est plus de mettre en avant le mot islamique. Si on prend exemple sur le Maroc, la finance islamique est appelée finance participative, aux Emirats Arabes Unis La Noor Islamic Bank s’appelle aujourd’hui Noor Bank. On a des acteurs de la finance islamique qui cherchent plus à enlever la connotation islamique que de prôner la finance éthique. En revanche cela ne remet pas du tout en cause la conformité et la transparence de leurs investissements.
Quels sont les grands acteurs de cette finance ?
Les banques multilatérales, les fonds d’investissement de façon minime et l’industrie des banques commerciales de façon plus importante. Des banques telles que BNP et HSBC s’intéressent en partie à ce type de finance, tandis que les banques du Moyen Orient – par exemple Abu Dhabi Islamic Bank – se consacrent uniquement à la finance islamique. La Banque Islamique de Développement a pour vocation d’encourager les progrès sociaux dans divers domaines : économiques, culturels et sociaux.
Comment la finance islamique est-elle apparue ?
La finance islamique est apparue à l’avènement de l’islam, lorsque que le prophète remarqua que la relation entre débiteur et créancier menait souvent à l’esclavage. En effet, quand l’intérêt composé entraînait l’impossibilité de régler la somme due, il en résultait une offrande du débiteur de son propre corps comme gage de remboursement.
Cependant, le véritable essor de la finance islamique date des années 60 en Malaisie et en Egypte, avec la création d’un fonds d’investissement pour permettre à aux Malaisiens de partir en pèlerinage. Ils épargnaient en confiant de l’argent à un fonds, qui investissait dans des secteurs conformes à l’islam pour pouvoir permettre à ces derniers d’engendrer des rendements qui leur donnaient la chance de couvrir financièrement leur pèlerinage. Plus tard, en Egypte, des agriculteurs ont créé une caisse d’épargne avec pour objectif d’investir dans des projets qui soient en corrélation avec leur secteur d’activité. A la fin des années 70, l’organisation de la conférence islamique composée de 57 pays a réfléchi à un système plus complet après le choc pétrolier, ce qui a engendré la finance islamique telle qu’on la connaît.
Cette finance a-t-elle vocation à durer ?
Aujourd’hui, je pense que les systèmes financiers ne régulent plus l’économie, la finance telle qu’on la connait se détruit, la monnaie se détruit comme le prouve la hausse du Bitcoin. On veut se libérer de ce type de finance car elle atteint sa limite. Beaucoup d’acteurs ont compris qu’il faut créer une forme de soins palliatifs. C’est une alternative grandissante due au nombre de musulmans, et aussi parce que beaucoup d’individus sont devenus méfiants face à la finance classique qui doit être avant tout un moyen et non une fin. Les opportunités sont nombreuses au Maroc avec les banques détaillantes qui proposent des assurances, ou encore en Asie et au Moyen Orient. Enfin, en Europe, il y a un fort intérêt à travailler dans ce secteur comme par exemple au Luxembourg, en particulier en tant que gestionnaire de fonds (ce qui attire beaucoup d’investisseurs saoudiens). C’est une industrie élitiste, en fonction des pays les besoins sont différents. Cependant, certains pays musulmans voient ce type de finance contraire aux intérêts du pays, comme par exemple en Arabie Saoudite, ce qui est pour le moins paradoxal. Les institutions financières sont de plus en plus intéressées par la finance islamique. Tout le monde sait que la demande pour ce type de produits existe depuis de nombreuses années mais que l’offre, dans sa diversité et sa crédibilité, n’était jusqu’à présent pas au rendez-vous.