Les Yakuzas à l'heure de la Finance
Il semblerait bien que les charmes du crime type « vieille école » n’opèrent plus sur la prestigieuse mafia japonaise. Si les truands nippons se sont appuyés sur le trafic de drogue et autres durant de longues décennies – pour ne pas dire de longs siècles – en tirant de ceux-ci un retour sur investissement que les plus grands hedge funds leur envient, ils n’ont pas manqué de se faire rattraper par le contexte économique mondial. Finis les petits crimes de quartiers, les pactes tacites avec les forces de l’ordre et l’allégeance des conseils d’administration aux parrains les plus influents. La dernière crise en date a eu raison des derniers Yakuzas à l’ancienne ; place à la jeune classe.
La crise. Déjà trois ans et toutes ses dents. Bien que les mafieux japonais ne soient que très peu portés sur les nouveautés occidentales, ils n’ont cette fois eu d’autre choix que d’accueillir ce nouveau bébé à bras ouverts. Tandis que les parrains les plus réactifs avaient amorcé leur réorientation après les réformes de 1992 ou la crise économique asiatique de 1997, les plus récalcitrants auront sereinement attendu plus d’une décennie et l’épisode de 2008 pour se mettre à la page.
C’est ainsi que les quelques 2500 gangs que compte l’archipel ont fait évoluer leurs critères de recrutement. Dehors les gros bras tatoués et les virtuoses du nunchaku : place aux seigneurs de l’algorithme et des calculs stochastiques. Les départements RH de ces bandes (très) organisées sont désormais tournés vers les stars des marchés financiers et les cracks fraîchement sortis des meilleures écoles. Remettez-vous aux maths !
Certains n’hésiteront pas à dire que ce n’est que justice après tout, que l’on reconnait enfin les vertus du travail scolaire à sa juste valeur. C’est un point de vue. Ce ne semble toutefois pas être celui de l’Agence Nationale de la Police japonaise, qui a récemment communiqué un rapport sur la reconversion des groupes mafieux en boutiques de courtage et en centres de formation pour apprentis traders.
Le rapport explique comment, à travers la création de plus d’un millier de sociétés écrans, ces bandit-cambistes prennent des parts majoritaires dans le capital des plus grandes sociétés du pays, sans que celles-ci ne se doutent des connexions qu’elles tiennent avec la mafia. Cette nouvelle activité a pris une telle importante au sein du Nikkei 225 (l’équivalent de notre CAC 40), a avoué un spécialiste du secteur, que le syndicat du crime japonais est devenu « le plus gros fonds de private equity du pays ». La Securities and Exchange Surveillance Commission (SESC) japonaise (l’équivalent de l’AMF française) a d’ailleurs dressé une liste de sociétés suspectées d’avoir un lien direct ou indirect avec l’argent de la mafia au sein de leur capital. Elle compterait plus de 200 sociétés cotées sur les marchés publics, dont certains des plus grands noms du pays.
Ajoutons à cela que les autorités nippones sont confrontées à des connaisseurs. Chez les Yakuzas, lorsque l’on fait quelque chose, on le fait bien. Ce sont donc des centaines d’anciens banquiers d’affaires, traders, brokers des plus prestigieuses enseignes internationales qui sont débauchés par ces nouveaux fonds d’investissement clandestins. Et comme pour se fournir une garantie supplémentaire, la dernière mode qui effraie les forces de l’ordre est de s’assurer le soutien des grands cabinets d’audit. Ainsi, en obtenant de ces derniers la validation et la certification de comptes truqués dans des sociétés cotées, les mafieux sont libres de communiquer les résultats qui les arrangent et ainsi manipuler le cours des actions qu’ils possèdent.
Les grands clichés de la finance vont prendre un coup. Alors que le schéma classique semblait connu de tous : on devient d’abord trader, et seulement ensuite le stress des marchés nous pousse vers la cocaïne, les Yakuzas frappent fort en démontrant que le chemin inverse est tout aussi cohérent : on délaisse désormais la drogue pour filer vers les marchés de capitaux et le trafic de cours manipulés.
Par Stanislas de Zutter, pour ESSEC Transaction